Le grand projet de LAVille – Complément de réponse aux questions posées pendant la conférence

Je vous remercie d’avoir assisté à ma conférence du 23/02/17 sur le grand projet de LAVille et participé au débat qui a suivi. La pertinence des questions me montre que l’approche, en proposant des solutions concrètes, et en faisant évoluer mon travail en tenant compte des réactions, est cohérente.

Je me permets de revenir sur certains points dont les réponses méritent quelques éclaircissements:

 

  1. Sur la question de la liberté donnée à la ville.

C’est une question fondamentale. Les professionnels de la ville ont une conscience importante du fait que la ville soit une entité ayant une certaine forme d’autonomie et de liberté. Elle s’agrandit, se rétrécit, vit, meurt, etc… Force est de constater par la similarité entre les villes du monde (avec du recul) que l’homme a une façon inconsciente de construire les villes, par besoin fonctionnel et social, par mimétisme, un peu à la façon qu’ont les fourmis de bâtir leur fourmilière. Dans l’évolution proposée du modèle urbain de LAVille, le paradigme change dans une certaine mesure. En effet, l’idée serait de trouver un compromis raisonnable et raisonné entre la liberté que l’on doit donner à la ville et la manière dont on s’en sert pour créer les valeurs indispensables aux sociétés de demain.

Je prends un exemple : La communauté géographique est un concept fort, dont le cœur est la diversité aussi bien économique que sociale. Cette diversité est une quête qui va souvent à l’inverse de la ville cloisonnée que nous connaissons tous et qui nécessite de grands déplacements. La liberté que l’on a donnée à la ville d’être cloisonnée (quartiers d’affaires, d’habitation, d’usines, de pauvres, de riches, de santé, d’université…) dépend de nous, les hommes. Demain, ce choix peut être de créer la ville diversifiée, et de nombreuses initiatives sont faites dans ce sens dans le monde entier. Ce que je souhaite montrer, est que la ville peut être également le catalyseur des grands enjeux économiques et sociaux de demain, et qu’une relation entre sa liberté et sa fonction doit être trouvée.

 

  1. Sur la question de la voiture et de la liberté individuelle.

Je prends conscience au fur et à mesure de mes réunions et conférences, à quel point la voiture est devenue pour les générations et les pays qui en profitent, le symbole de la liberté individuelle. Je comprends à quel point remettre en cause le principe de l’utilisation de la voiture est difficile pour certains, voire impensable pour d’autres. Il y a plusieurs arguments à cela :

– La notion de liberté individuelle est très occidentale. A l’échelle du monde et particulièrement dans les pays et les villes surpeuplés (Chine, Inde…), la notion de liberté individuelle, qui s’arrête là où celle de l’autre commence, est bien plus limitée. Dans ces endroits, c’est la notion même d’intimité qui a du mal à exister. Dans une ville, avoir des standards de densité qui soient raisonnables est sûrement un objectif. C’est une notion qui a beaucoup de valeur, mais qui, au niveau mondial, est loin d’être généralisée. Le concept de LAVille ne s’arrête pas seulement aux sociétés occidentales. Par ailleurs, la proximité créée par la configuration de LAVille permet de se passer d’un véhicule pour un bon nombre d’activités. La vraie nature est à 2 km maximum, les champs également, les transports rapides à 1 km maximum et l’organisation en communauté géographique (inter-pénétration des tissus urbains économiques et sociaux) permet d’accéder à pied à la plupart des biens et services.

– Le manque de ressources dans le domaine du transport semble de loin être le facteur bloquant pour le développement planétaire de la voiture. L’épuisement des énergies fossiles dans quelques décennies permet difficilement d’envisager la pérennité de la voiture au pétrole d’une part. La voiture électrique, son successeur désigné est porteur de grands espoirs concernant la propreté des émissions, facteur primordial vis à vis du réchauffement climatique. Toutefois en termes d’énergie, le passage du tout pétrole au tout électrique est loin d’être évident. La transition énergétique, largement amorcée avec les énergies renouvelables, permet difficilement d’envisager des niveaux de production d’énergie en rapport avec ce qu’ils sont grâce aux énergies fossiles. Le nucléaire est une solution, certes, mais même dans un pays comme la France, la situation dégradée du parc nucléaire français qui n’a pas les moyens de se renouveler dans des conditions acceptables de sécurité (tout du moins pour le moment) est un exemple des limites de la production massive d’électricité. Par ailleurs, la technologie de la voiture électrique fait largement appel à la production de batteries, qui non seulement contiennent des produits nocifs mais nécessitent en plus des ressources comme le lithium qui est également épuisable. D’autres technologies vont apparaitre bien sûr. Toutefois, la question de la relation de l’humain à la Terre qui épuise une ressource énergétique pour s’attaquer à une autre (bois puis charbon, puis pétrole, puis gaz naturel, puis uranium, puis lithium), se pose maintenant de manière concrète : quel est l’héritage environnemental que nous allons laisser aux générations suivantes. La voiture et la liberté qu’elle procure, n’ont pour l’instant pas l’écho positif que nos descendants méritent. La transition énergétique devra vraisemblablement s’accommoder d’une transition des modes de transport. Nous pouvons imaginer que des technologies futures nous apporteraient une solution. Toutefois, nous faisons porter implicitement deux responsabilités contradictoires aux humains qui vont nous succéder. D’une part celle de trouver des solutions à des besoins d’énergies croissants, d’autre part celle de s’en débrouiller avec moins de ressources. Quelle est notre responsabilité en tant qu’individu du 21ème siècle ? De quel droit privons-nous le citoyen du 22ème siècle de ressources avec en plus le soin de découvrir des technologies qui soit n’existent pas, ne sont pas encore au point, ou demeurent très dangereuses ? Une implication actuelle plus raisonnée pourrait permettre de faire évoluer nos modes de transport. LAVille, dans sa conception orientée sur une distribution facile et favorisant la proximité, tente d’apporter des solutions.

– Je n’ai pas assez insisté pendant ma conférence sur les voies de communications entre villes et sur la « voie circulaire » qui contourne la ville. Le concept de LAVille, qui comme nous l’avons vu pourrait tendre vers une gestion du territoire multicellulaire, ne doit pas pour autant créer des entités fermées. Il est de toute première importance d’assurer des circulations entre les villes, à l’aide de routes et voies ferrées qui assurent les liaisons inter-villes. Ces routes traversent la « vraie nature », elles doivent donc être peu nombreuses afin de ne pas morceler à outrance le territoire naturel. Toutefois, elles doivent pouvoir assurer de manière fluide les débits nécessaires. En ce qui concerne « la voie » périphérique de LAVille, c’est un espace de circulation non défini, situé entre la voie ferrée la plus extérieure et la vraie nature. Cette circulation peut clairement assurer la transition sur les modes de transport, en particulier des modes de transport individuel vers des modes de transport collectif. L’idée de base est de ne pas mettre de véhicule dans LAVille. Le cordon urbain d’une largeur de 2 km permet d’assurer des déplacements sûrs et rapides vers les super-trains qui eux, permettent d’accéder à tout point de la ville en un temps record. En transition, la voie périphérique peut accueillir des parkings de voiture et une libre circulation autour de LAVille et vers les autres cités.

 

  1. Sur la question des modèles urbains.

Les modèles urbains effraient et à juste titre. Bon nombre de réalisations par le passé et le présent de villes nouvelles ou de cités ambitieuses ont été des échecs. Deux hypothèses peuvent être avancées sur les raisons de ces échecs. La première, c’est le manque de vision inter-disciplinaire indispensable à la ville. On n’imagine pas de construire une ville nouvelle avec des logements sans commerces, ou sans écoles, ou sans industries. Une des grandes tendances dans le monde, est la construction de cités de logements à l’extérieur des centres actifs et de les relier par des transports massifs. Au résultat, on trouve des cités vides ou peuplées mais sans vie, avec une difficulté majeure pour ses habitants qui est de relier le lieu de leur travail, que ce soit en temps ou en distance. La ville reste un équilibre difficile, fragile avec des composants multiples. Certains de ces composants ne peuvent pas être absents, faute de quoi le projet ne peut réussir. Je ne prétends pas apporter une solution à tout, mais j’ai la volonté de cerner les critères primordiaux de la vie d’une ville pour lui donner le plus de chances possible dans son évolution.

Par ailleurs, étant donné la complexité des facteurs d’évolution de la ville, il semble important de s’attacher à la notion de bon compromis. Le travail urbain et de gestion du territoire que je développe n’est pas parfait. Il essaye de mettre en avant un certain nombre de critères fondamentaux pour changer le paradigme de la ville concentrée et perfusée (en énergie, en ressources, en alimentation) qui mène de la mégalopole à la « taupinière », avec tout ce que ça comporte en termes de division voire d’exclusion sociale.

Dans l’exemple réalisé dans le Nord-Est de la Chine, LAVille a déjà perdu la forme du concept d’origine car elle doit s’adapter à des données topographiques et relie les coeurs des villes existantes. Cependant ceci reste une vue macro-géographique. Il est évident que plus l’échelle devient grande, plus les détails se forment, en fonction du lieu, du temps, des bâtiments existants, des ressources qu’il faut conserver où elles sont, de la nature que l’on ne peut recréer ailleurs. L’important est de s’appuyer sur des concepts de base forts, qui soient en corrélation avec nos besoins de changement énergétiques, environnementaux, socio-économiques. Si il fallait ne laisser que la trame du modèle, le plus important devrait subsister:

– la gestion du territoire en structure cellulaire, avec un certain degré d’autonomie et une grande possibilité de circulation entre cellules

– la notion de communauté géographique qui allie une grande diversité socio-économique avec une proximité des énergies renouvelable et des ressources de base

– la forme de « cordon » urbain, qui permet une circulation plus facile et plus économe en terme d’énergie. Elle permet également d’être en rupture par rapport à la ville concentrée et concentrique.

– la préservation de l’eau, de la terre cultivable, la compensation carbone entre la nature, l’agriculture et les activités humaines.

A partir de ces notions essentielles et fondatrices, il est possible de s’adapter à la forme et au contexte.

 

  1. Sur la concentration et la densité urbaine.

La question de la densité de population est au centre des débats, elle est posée dans ce sens : Vaut-il mieux construire en hauteur sur des zones réduites et concentrées, plutôt que de créer l’étalement urbain avec des constructions de faible hauteur ? LAVille tente d’apporter une réponse à cette question avec l’approche suivante : Le fait de construire LAVille avec des immeubles de faible hauteur, permet de trouver un compromis entre les immeubles de grande hauteur d’un côté, qui représentent l’extrême de la concentration urbaine, et les pavillons de l’autre qui prennent une place considérable sur le terrain public et les terres cultivables. Dans sa conception initiale, LAVille abrite 3 millions d’habitants sur 500 km2 de cordon urbain, ce qui représente 6 000 habitants/km2, soit environ la densité de l’agglomération parisienne à 10 millions d’habitants. Si on considère 10 000 km2 pour ces 3 millions d’habitants, cela représente 3 300 m2 par personne. Pour 60 millions d’habitants en France, cela représente 200 000 km2 pour 450 000 qu’en compte la France. Nous voyons ici que la gestion du territoire en utilisant le concept de LAVille, serait de nature, avec le développement de 20 villes, à couvrir la moitié du territoire, et ceci de manière beaucoup plus homogène et répartie qu’ actuellement.

Sur le tableau ci-après, il est possible de mettre en évidence les écarts entre les pays (source Wikipédia) :

Pays / continent Population (Millions d’habitants) Surface (Millions de km2) Surface / 2 (Millions de km2) Densité (m2/hab)
Europe 740 10,2 5,1 6 892
Chine 1 400 9,6 4,8 3 429
Inde 1 300 3,3 1,65 1 269
USA 320 9,8 4,9 15 313

Par prudence, la surface du pays a été divisée par 2 pour prendre en compte les zones inhabitables (montagnes, lacs, etc…). Il est évident que le calcul devrait être affiné. Toutefois, il est possible de dégager des tendances:

– L’Europe, et encore plus largement les États-Unis, sont entièrement compatibles avec le calcul de densité effectué, y compris une grande marge de développement.

– La Chine est exactement dans l’ordre de grandeur.

– La surface de l’Inde est insuffisante par rapport au calcul de base.

En Chine, nous voyons qu’il est tout à fait possible d’envisager ce type de gestion du territoire, car la densité moyenne correspond. En termes de développement et d’accroissement de la population, les marges ne sont pas les mêmes qu’en Europe. Il est ainsi possible de pointer du doigt la finitude des territoires. Le contexte de l’économie globalisée permet à un territoire insuffisamment grand, d’importer des biens en provenance d’autres territoires dans le monde. Mais qu’adviendra-t-il le jour où le territoire exportateur se sera développé au point de ne plus exporter, ce dernier ne voulant pas s’exposer au risque de ne plus pouvoir alimenter sa population ? Nous pouvons imaginer que des tensions internationales pourraient naître de telles situations. LAVille de par sa taille géographiquement finie, peut servir de régulateur du développement. En effet, quand une ville est pleine, il faut en construire une autre plutôt que de densifier, car le risque est bien que la surface prévue pour l’agriculture, la nature, l’eau et les énergies devienne insuffisante. Nous pouvons également constater que les modifications de frontières, ou l’achat de terres dans des pays moins peuplés, seraient indispensables.

En Inde, le problème n’a pas de solution immédiate, mais des éléments de solutions, tant la densité est importante, même répartie sur la moitié du territoire. Dans un premier temps, il faudrait vérifier si par exemple les 2/3 du territoire pourraient être habités, ce qui donnerait 2 500 m2 par habitant. Ensuite, les seules possibilités qui s’offrent sont :

– réduire la surface de vraie nature en vérifiant qu’elle suffise à compenser les émissions carbone,

– densifier de 30% LAVille elle-même avec par exemple des immeubles de 7 à 8 étages.

Dans une telle hypothèse le besoin de surface par habitant serait de 2 050 m2, ce qui pourrait être compatible avec un développement et une occupation aux 2/3 du territoire.

De manière générale, la gestion du territoire proposée par LAVille permet d’éviter le « mitage » territorial, qui est une vraie source de dépense excessive en termes de réseau, d’entretien et de ratio entre les terres cultivables et le nombre d’habitants. Au vu de ces chiffres, il est raisonnable de penser que la situation est préoccupante au niveau mondial en termes de nombre d’habitants et de densité. Elle est préoccupante, mais correctement gérée, le territoire peut amener des solutions et LAVille fait partie des perspectives.

Si on applique le même raisonnement au niveau mondial sur les terres cultivables (5 milliards d’hectares de surface agricole utile – Source Wikipédia), avec 3 300 m2 par personne, la Terre peut accueillir 15 milliards d’habitants.

 

Damien GIOLITO

Paris, le 10 mars 2017

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Le grand projet de LAVille – Complément de réponse aux questions posées pendant la conférence

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